VADEMECUM DE PROCEDURE D’APPEL de MARS 2016
Depuis plusieurs mois, la Cour de cassation égrène ses arrêts afin de préciser la jurisprudence applicable à la procédure d’appel dans les matières avec représentation obligatoire.
Les jurisprudences se suivent mais ne se ressemblent pas toujours, en cela que la sévérité quant à l’interprétation des textes est variable.
Parfois la Cour de cassation entend ne pas compliquer la tâche du plaideur, parfois elle complète les textes et accroit considérablement les difficultés pour mener à bien une instance d’appel. Probablement, faut-il voir dans ses jurisprudences récentes, les préludes à un ravalement annoncé par un nouveau décret concernant la matière. Les premiers bruits concernant ce décret ne permettent pas d’imaginer que le plaideur gagnera en plus de latitude d’action. Au contraire, on annonce même des délais raccourci et une contraction des moyens d’appel. De là à imaginer que l’on pourrait revenir sur la vision de l’instance d’appel comme voie d’achèvement, il n’y a qu’un pas…
Avant ce décret à venir, le plaideur sera inspiré de connaître les derniers correctifs apportés par la jurisprudence à un texte critiqué depuis sa genèse par de nombreux praticiens.
Interruption d’instance et délai pour conclure
Un arrêt inédit précise l’application des délais pour conclure en cas d’interruption de l’instance due à un décès.
La Cour de cassation estime que les héritiers, ayants droit de l'appelant, cités en reprise d'instance, sont appelés à reprendre la procédure en qualité de demandeurs à l'instance d'appel introduite par leur auteur et disposent nécessairement, à compter de la citation en reprise d'instance, du même délai de trois mois prévu par l'article 908 du code de procédure civile que le De Cujus pour conclure au soutien de l'appel (Civ. 2ème, 3 septembre 2015 pourvoi n°14-11907).
La seconde chambre civile juge dès lors que ce texte ne distingue pas entre l'appelant initial et ses héritiers saisis de ses droits et actions.
Cet arrêt, même inédit, fait là une application stricte des règles applicables à l’interruption d’instance en matière de décès et de reprise d’instance par les héritiers du De Cujus.
Il sera relevé que dès juin 2015, cette même seconde chambre civile avait déjà jugé que l’interruption de l’instance emportait celle du délai imparti pour conclure et faisait courir un nouveau délai à compter de la reprise d’instance (pourvoi n°13-27218).
Circuit court – article 905 du code de procédure civile
Dans le cadre d’un appel formé par le débiteur d'une décision statuant sur l'ouverture d'une liquidation judiciaire, lequel a été instruit conformément aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile auxquelles renvoie l'article R. 661-6 3 du code de commerce, les dispositions de l'article 909 du code de procédure civile ne s'appliquent pas à l’instance.
La mise en œuvre de l'article 905 du code de procédure civile renvoie aux seules modalités prévues par les articles 760 à 762 du même code (…). Ainsi l'article 782 de ce code n'est pas applicable au litige (Cour de cassation, chambre civile 2, 15 octobre 2015, pourvoi n°14-22530).
Il appartient à la partie intimée d’être particulièrement vigilante quant au calendrier de procédure arrêté et à ne pas imaginer bénéficier systématiquement du délai de deux mois pour répliquer de l’article 909 du code de procédure civile, au risque sinon de se voir achever un dossier sans avoir fait valoir ses prétentions.
Cet arrêt en est une parfaite illustration (Cour de cassation, chambre civile 2, 15 octobre 2015, pourvoi n°14-22530), puisque l’intimée n’avait pas eu connaissance du circuit court mis en œuvre par le Président de la chambre concernée de la Cour d’Appel – avant sa constitution devant la juridiction de second degré – et avait estimé à tort bénéficier de deux mois pour conclure en suite des conclusions de l’appelant.
Rappel des délais de procédure à l’intimé et notification des conclusions
L’appelant, face à une partie intimée défaillante, se doit d’effectuer un certain nombre de dénonciations d’actes pour régulariser la procédure à son égard.
Au premier rang, il lui appartient de dénoncer sa déclaration d’appel dans le mois de l’avis adressé par le greffe.
L’alinéa trois de l’article 902 du code de procédure civile énonce qu’à peine de nullité, l'acte de signification doit indiquer à l'intimé que, faute pour lui de constituer avocat dans un délai de quinze jours, il s'expose à ce qu'un arrêt soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire. L’acte doit également stipuler que faute de conclure dans le délai mentionné à l'article 909, l’intimé s'expose à ce que ses écritures soient déclarées d'office irrecevables.
Ensuite, l’appelant doit dénoncer ses conclusions d’appel.
Mais est-il alors contraint de rappeler à l’intimé le délai dont celui-ci dispose pour conclure ?
Aucun texte ne prévoit en réalité l’obligation de réitérer l’information de l’intimé.
Le Conseiller de la Mise en état de la chambre commerciale de la Cour d’appel d’Orléans a validé cette position. Aux termes d’une ordonnance rendue le 26 novembre 2015 (RG 15/001051), il précise que l’acte de dénonciation des conclusions d’appel n’avait pas à rappeler à l’intimée qu’il disposait d’un délai de deux mois pour conclure, alors que cette information avait été déjà portée à sa connaissance dans l’acte de dénonciation d’appel.
Il appartient ainsi à l’intimé d’être tout à fait attentif aux actes qui se suivent et se complètent.
Il doit retenir que la dénonciation d’appel mentionne un délai qui ne court pas encore (sauf à ce que cette dénonciation contienne également les conclusions au soutien de l’appel), mais qui démarrera ultérieurement sans qu’un rappel ne soit nécessaire.
Sanction du défaut de respect des formes prescrites pour la signification des conclusions et violation de l’article 6 §1 de la CESDH
Les plaideurs doivent respecter les modes de transmission des conclusions et procéder à la remise subséquente de ces conclusions au Greffe de la Cour. A défaut, la caducité de l’appel est encourue et la Cour de cassation juge qu’il ne s’agit pas d’une « sanction disproportionnée au but poursuivi, qui est d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel, et n'est pas contraire aux exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » (Cass. Civ. 2ème 24 septembre 2015 pourvoi n°13-28017).
Dès 2014, dans un arrêt du 26 juin 2014 (pourvoi n°13-22013), la seconde chambre civile avait déjà affirmé que les délais prescrits aux parties pour effectuer les actes de procédure ne les privaient pas de leur droit d'accès au juge et à un procès équitable ou à un recours effectif et qu’une cour d’appel pouvait, sans méconnaître les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, décider que le non-respect des prescriptions réglementaires justifiait la sanction édictée par l'article 908 du code de procédure civile.
Effet de la caducité de l’appel principal sur l’appel provoqué
En cas de procès multi-parties, la complexité des liens d’instance est très largement accrue.
Dès lors qu’une caducité d’appel partielle intervient, c’est toute l’instance d’appel qui peut être alors fragilisée.
Sur ce terrain, un arrêt rendu le 3 décembre 2015 par la seconde chambre civile de la Cour de cassation est symptomatique des difficultés rencontrées, même s’il faut le décortiquer pour l’analyser (pourvoi n°14-834).
Dans cette instance, une caducité partielle de la déclaration d’appel fut prononcée du fait d’un défaut de signification de conclusions de l’appelant à une des parties intimées.
Un autre co-intimé a ensuite formé appel incident – qualifié de provoqué – à l’égard de la partie bénéficiant de la caducité partielle de l’appel principal. Cependant, ce co-intimé a assigné en appel provoqué après le délai fixé à l’article 909 du code de procédure civile courant à compter des premières conclusions de l’appelant principal et le conseiller de la mise en état, puis la Cour sur déféré, ont jugé cet appel ‘incident et provoqué’ irrecevable comme tardif.
La Cour de cassation retient que l’intimé bénéficiaire de la caducité de l’appel principal était demeuré partie intimée à l’égard du co-intimé, en dépit de la décision de caducité partielle de la déclaration d'appel.
Voilà ce qui s’appelle se faire couper l’herbe sous le pied…
Portée de l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé
Le prononcé de l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé, s’il peut laisser espérer à l’appelant une issue favorable de son recours, dans la mesure où il se trouve alors face à un contradicteur muet, ne le dispense pas pour autant d’articuler ses moyens avec précision.
La Cour d’appel ne peut se contenter de faire droit à la demande de l’appelant au seul motif qu’aucun moyen ne serait plus opposé aux parties adverses qui concluent à son débouté.
Pour la seconde chambre civile de la Cour de cassation, au visa des dispositions de l’article 472 du code de procédure civile, le juge ne doit faire droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés (Civ. 2ème 3 décembre 2015 pourvoi n°14-26676).
Refus des conclusions signifiées via RPVA par le Greffe
Au regard des dispositions des articles 908 et 930-1, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de cette déclaration pour conclure, remettre ses conclusions au greffe par la voie électronique et les notifier à la partie qui a constitué avocat et ce, à peine de caducité de sa déclaration d'appel.
La Cour de cassation a sauvé un appelant dont la Cour avait jugé caduque sa déclaration d’appel, motif pris d’un défaut de signification de ses conclusions au greffe dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile, alors que celui-ci avait pourtant bien adressé ses conclusions dans le délai, mais s’était vu notifier un avis refus par le Greffe, dans la mesure où son message ne comportait pas la référence au numéro de rôle du dossier.
La Cour de cassation juge que l’avis de refus valait remise au greffe et donc valide la remise dans le délai de trois mois des conclusions d’appel (Civ. 2ème 24 septembre 2015 pourvoi n°14-20212).
C’est tout de même heureux. D’abord le Greffe ne dispose pas d’un pouvoir juridictionnel pour rejeter un message contenant des conclusions. Ensuite, la mention du numéro de rôle du dossier sur les conclusions n’est pas imposée à peine de nullité de celles-ci.
Cette jurisprudence, pleine de bon sens, doit cependant être regardée avec circonspection car la Cour de cassation ne se montre pas toujours aussi magnanime à l’égard des erreurs de manipulation du RPVA.
Ainsi, elle a considéré que l'appelant qui avait transmis ses conclusions en pièce jointe à un message électronique libellé « demande de renvoi de plaidoirie » n’avait pas effectué une notification régulière (Cass. Civ. 2, 7 janvier 2016, pourvoi n°14-28887).
Aide juridictionnelle et délais de procédure
La demande d’aide juridictionnelle peut venir bouleverser les délais stricts de procédure du décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009.
L’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 prévoit notamment que le délai pour assigner la partie intimée défaillante et les délais pour conclure courent à compter :
a) De la notification de la décision constatant la caducité de la demande d’aide juridictionnelle,
b) De la date à laquelle la décision d'admission ou de rejet de la demande est devenue définitive,
c) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.
Il appartient cependant à l’avocat de bien maîtriser l’écoulement des délais et de surveiller le point de départ nouveau qui s’impose à lui dès lors qu’il a connaissance de la décision du bureau d’aide juridictionnelle.
En effet, la Cour de cassation a précisé, en des termes clairs reproduits ci-après, que le Greffe n’a pas à le prévenir du nouveau délai pour réaliser la formalité (Cass. Civ. 2ème 24 septembre 2015 pourvoi n°14-22945) :
« Aucun texte n'impose au greffe de la cour d'appel, lorsqu'il reçoit la copie de la décision du bureau d'aide juridictionnelle, d'aviser les parties du nouveau cours du délai imparti pour signifier la déclaration d'appel »
Appel en matière de saisie immobilière contre le jugement d’orientation
L’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution oblige l’appelant à respecter la forme d’un appel à jour fixe dès lors qu’il entend contester, devant la Cour d’appel, les termes d’un jugement d’orientation.
Ainsi, l’appelant doit-il suivre les formes prescrites par l’article 917 du code de procédure civile.
Toutefois, l’appelant doit avoir été informé des formes qui lui sont imposées et ce, dès l’acte de signification du jugement d’orientation. A défaut, l’acte de signification encourt la nullité.
C’est ainsi que, au visa des articles 528 et 680 du code de procédure civile, la Seconde chambre de la Cour de cassation a sanctionné une cour d’appel qui avait rejeté pour tardif un appel alors que « l'acte de signification du jugement avait omis de mentionner les modalités de l’appel contre le jugement d'orientation », motif pris que « l'absence de mention ou la mention erronée dans l'acte de notification d'un jugement de la voie de recours ouverte, de son délai ou de ses modalités ne fait pas courir le délai de recours » (Cass. Civ. 2ème 24 septembre 2015 pourvoi n°14-23768).
La valeur juridique de l’avis de réception du RPVA
Aux termes d’un arrêt du 21 janvier 2016, la seconde chambre civile a été amenée à préciser la valeur juridique de l’avis de réception d’un document transmis via le RPVA.
L'avis de réception électronique de la notification des conclusions de l'appelant par le moyen du réseau privé virtuel des avocats (RPVA), émis par le serveur de messagerie e-barreau de l'avocat constitué par l'intimé, tient lieu de visa par la partie destinataire au sens de l'article 673 du code de procédure civile.
Cet avis équivaut donc à une notification directe entre avocats.
Maître Alexis Devauchelle
Avocat au Barreau d’Orléans, Spécialiste de l’appel
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